TARANIS – Interview de Hélène Coullon

Hélène Coullon : « À la croisée de la recherche et de l’innovation pour des clouds plus résilients et durables »

Hélène Coullon, enseignante-chercheuse à IMT Atlantique et membre de l’équipe STACK (Inria, IMT Atlantique, LS2N), incarne une vision audacieuse de l’informatique : celle d’une discipline en constante évolution, où la rigueur scientifique rencontre les défis sociétaux. Spécialiste des systèmes distribués et du déploiement automatisé d’applications, elle pilote le lot 2 du projet TARANIS, un pilier du PEPR Cloud. Son parcours, marqué par une curiosité insatiable et un grand nombre de collaborations, éclaire les enjeux de la recherche en informatique aujourd’hui. Rencontre avec une chercheuse passionnée, qui voit dans les clouds de demain des infrastructures plus résilientes, sobres et inclusives.

HC : Mon parcours est effectivement un peu particulier ! J’ai commencé par un bac S, puis une prépa maths-physique, avec l’idée de garder le plus de portes ouvertes possible. L’informatique, je l’ai découverte assez jeune et j’avais beaucoup aimé ça, mais je n’ai pas immédiatement envisagé d’en faire mon métier. Ce qui m’a vraiment attirée, c’était la diversité des débouchés et des domaines d’application.

Après mon école d’ingénieurs (ENSI Bourges, maintenant INSA Centre Val de Loire), j’ai travaillé deux ans chez Dassault Systèmes, puis deux ans comme ingénieure de recherche à l’Université d’Orléans. C’est cette dernière expérience qui a été déterminante : j’ai réalisé que le monde de l’entreprise me laissait peu de temps pour approfondir, comprendre en profondeur, et remettre en question. La recherche, elle, me permettait de satisfaire ce besoin d’apprentissage continu. J’ai donc enchaîné avec une thèse CIFRE à l’Université d’Orléans, financée par une entreprise d’hydrogéologie, puis un post-doctorat à Inria Lyon.

Quant aux systèmes distribués, c’est un domaine qui me fascine par sa complexité et son impact. Ces systèmes sont partout : dans les clouds, les réseaux sociaux, les infrastructures critiques… Ils posent des défis à la fois techniques, théoriques et sociétaux, et c’est cette mixité qui me motive.

PC : Tu es aujourd’hui responsable du lot 2 du projet TARANIS, un projet ambitieux du PEPR Cloud. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste TARANIS, et ce qui en fait un projet innovant ?

HC : TARANIS, c’est un projet qui vise à automatiser toute la chaîne de déploiement et de gestion d’applications distribuées sur le cloud mais aussi dans le Continuum de calcul (de l’IoT au Cloud). L’idée est de répondre à trois questions fondamentales : WHAT ou « quoi déployer ou reconfigurer » (la modélisation de l’application), WHEN and WHERE quand et le déployer (l’optimisation des ressources)., et HOW ou comment le déployer (les langages et outils pour mettre en œuvre).

Ce qui rend TARANIS innovant, c’est de considérer tout le cycle de vie des systèmes et applications, leur déploiement donc mais aussi leur reconfiguration de façon la plus générale possible : si une panne survient, si les besoins évoluent, le système doit pouvoir se reconfigurer automatiquement. C’est une rupture avec les pratiques actuelles, où l’automatisation reste souvent limitée à des scénarios prévisibles.

Un autre défi majeur est l’intégration des critères énergétiques (en lien avec le projet CareCloud du PEPR). Aujourd’hui, le cloud est un domaine mature, mais il reste des questions ouvertes, notamment sur la sobriété et l’efficacité énergétique. TARANIS explore aussi le déploiement sur des infrastructures décentralisées, ce qu’on appelle le « continuum de calcul ». C’est un vrai casse-tête : comment prendre des décisions globalement proches de l’optimal sans avoir une vision centralisée de l’infrastructure ?

Enfin, TARANIS fédère la quasi-totalité des acteurs français du domaine. Cette collaboration unique permet des synergies fortes et des avancées plus rapides.

PC : Justement, tu pilotes le lot 2, dédié au « comment » du déploiement et de la reconfiguration. Quels sont les objectifs de ce volet, et quels verrous technologiques espères-tu lever ?

HC : Le lot 2 a deux ambitions principales. D’abord, apporter des garanties formelles aux outils de déploiement existants. Aujourd’hui, beaucoup d’outils DevOps, comme Kubernetes, Ansible, ou Terraform, sont nés en dehors du monde académique. Ils sont très puissants, mais leur comportement est parfois inattendu de par leur complexité. Nous voulons intégrer des formalisations et des preuves mathématiques de bon fonctionnement, pour rendre ces outils plus sûrs et plus robustes.

Ensuite, il s’agit de transférer les innovations académiques vers ces outils de production. Par exemple, nous travaillons sur des mécanismes de reconfiguration dynamique qui permettent de s’adapter à des changements imprévus, comme une panne matérielle ou une surcharge réseau. L’enjeu est de rendre ces avancées accessibles aux industriels, pour qu’ils puissent les adopter facilement.

PC : TARANIS est un projet majoritairement académique, mais tu as aussi collaboré avec des industriels comme OVH et Orange. Comment ces partenariats enrichissent-ils ta recherche, et inversement, qu’apportes-tu à ces acteurs ?

HC : Les collaborations industrielles sont essentielles pour ancrer la recherche dans le réel. Avec OVH (dans le cadre du Défi FrugalCloud), par exemple, nous avons travaillé sur des déploiements de production. Cela nous a permis de valider nos approches dans un environnement réel, avec des contraintes industrielles. À l’inverse, nous avons pu montrer à OVH comment nos outils académiques pouvaient améliorer la sûreté et l’efficacité de leurs déploiements.

Avec Orange, la collaboration était plus orientée recherche, mais toujours avec un objectif concret : comment déployer et reconfigurer dans le continuum en allant jusqu’au périphériques connectés ? Ces partenariats sont un vrai dialogue : nous apportons des idées nouvelles, et eux nous aident à les confronter à la réalité du terrain.

PC : Tes recherches actuelles s’orientent vers des infrastructures plus sobres et adaptatives. Quels sont les défis que tu anticipes pour les années à venir ?

HC : Nous vivons dans un monde de plus en plus incertain, marqué par des crises climatiques, géopolitiques, et des pénuries de ressources. Les infrastructures distribuées doivent s’adapter à ces nouvelles contraintes : pannes plus fréquentes, coupures réseau, isolement de certaines zones…

Il faut aussi remettre en question le concept des ressources infinies. Aujourd’hui, on conçoit des systèmes en supposant que le matériel est abondant et fiable. Demain, il faudra gérer des infrastructures hétérogènes, limitées en ressources, avec du matériel reconditionné, et concevoir des systèmes plus adaptables et capable de survivre des circonstances extrêmes.

PC : Que penses-tu de la féminisation des sciences, et en particulier de l’informatique ? Pourquoi est-ce important, et quelles solutions préconises-tu ?

HC : C’est un enjeu crucial. L’informatique a été historiquement un domaine très féminin : les premières programmeuses étaient majoritaires ! Pour ce qui s’est passé ensuite je ne suis pas experte. Ayant grandi dans les années 80/90 il me semble tout de même évident que l’industrie des jeux vidéo a véhiculé une image très masculine de l’informatique. Mais le problème ne se résume pas à l’informatique mais à la science en général.

Des gens bien plus experts que moi étudient comment inverser la tendance. De mon côté j’ai souvenir d’avoir été marquée par des représentations féminines : Dana Scully dans X-Files ou Penny dans Inspecteur Gadget – ces personnages ont marqué ma génération ! Il faut évidemment lutter contre les stéréotypes dès l’école. Une simple remarque comme « les maths, ce n’est pas pour les filles » peut avoir un impact dévastateur. Les familles ont aussi un rôle clé : encourager leurs filles à explorer les sciences sans préjugés. L’informatique est un domaine créatif, collaboratif, et porteur de sens. Les femmes ont toute leur place dans cette aventure !


_Conclusion_

Hélène Coullon incarne une recherche en informatique à la fois exigeante et engagée. Son travail sur TARANIS, ses collaborations industrielles, et son point de vue pour la féminisation des sciences dessinent les contours d’une discipline plus inclusive et responsable. À l’heure où les clouds deviennent des infrastructures critiques, ses recherches rappellent une évidence : l’innovation technologique ne peut se passer d’une réflexion humaine et sociétale.


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